S’il y a un travail à faire en amont d’une recherche
universitaire, c’est bien la documentation. Car, admettons que la conception
d’une problématique constitue une étape cruciale et, de surcroit, vitale, la
documentation n’en est pas moins une activité banale en ceci qu’elle correspond
aux efforts consentis par le chercheur dans le but de parfaire ses
connaissances dans le domaine de savoir auquel il projette apporter une
contribution. Toujours est-il que la qualité et la consistance d’une
problématique dépendent, qu’on le veuille ou pas, de la quantité et la qualité
des documents qu’on s’est offert en lecture. En principe, un chercheur est
sommé de lire, il doit être un bon lecteur, sous peine de passer à coté des
grandes questions qui animent le débat entre spécialistes et de s’avouer ainsi
un intrus qui n’a de ce qui se trame autour de lui que des échos ou de bien
maigres informations. Dans cette optique, la documentation participe dans une
large mesure au façonnage de la personnalité scientifique du candidat à la
recherche, à ses aspirations en tant que futurs acteurs-producteurs de
connaissance, car elle déciderait des prédilections qu’il éprouverait
ultérieurement pour tels ou tels thèmes ou axes d’investigation. A tant
d’égards, la documentation féconde l’esprit du chercheur en l’inspirant, elle
le pousse à faire preuve de réflexion, à lire entre les lignes et, le cas
échéant, à se projeter dans la réalisation d’un projet inédit qui pourrait
avoir des retombées significatives, aussi bien sur sa carrière que sur sa vie. Einstein
a du lire les grands physiciens de son temps, car, nonobstant son génie, en
aucun cas il n’a été prédestiné à être physicien, encore moins à résoudre
l’énigme de l’origine de la matière et du monde par conséquent. Rappelons au
passage que beaucoup de grands savants et intellectuels qui ont marqué de leur
empreinte le monde de la science furent des autodidactes, sous-entendu de
grands lecteurs. Conscientes de l’importance de la documentation, les plus
grandes universités du monde mettent la bouchée double pour faciliter aux
étudiants et aux chercheurs l’accès aux sources documentaires. On assiste
aujourd’hui à la mis en place tous azimut d’un nombre important de plateformes documentaires,
numériques pour la plus part d’entre elles, qui requièrent un mode de
consultation plutôt technique (copier-coller), ludique (sites bien entretenus)
et nettement moins chronophage, mettant les chercheurs dans les meilleurs
dispositions pour tirer parti des autres (Evidemment, sans s’approprier indument
leur savoir) et d’avoir une vue synoptique sur le monde de la recherche qui a
tendance, depuis la révolution numérique des années quatre vingt, à se
globaliser et à se constituer en laboratoire géant. Il reste évident qu’on ne
peut tout lire, et qu’à fortiori, le temps d’un chercheur est compté. Inutile
donc de passer en revue toute une pile de livre qui traite du même sujet, sous
prétexte que tout lire permettrait de tout savoir. C’est peut être là tout
l’intérêt de la méthodologie qui, selon les auteurs, propose aujourd’hui de
nouvelles approches pour rendre la documentation de moins en moins rebutante et
d’en faire un exercice intelligent et sélectif. Néanmoins, la sélection doit se
faire selon certains critères qui dépendent dans une large mesure du plan de
travail sur lequel étudiant et encadreur se seraient rabattus. En outre, le
contenu des citations empruntées aux auteurs doivent se fondre complètement
dans le paysage épistémologique du travail. En termes plus clairs, il reste
méthodologiquement prohibé que de faire faire de la figuration à des auteurs,
renommés soient-ils, dont les propos cités ne représentent aucun lien avec les
arguments dévoilés (l’articulation citation /commentaire est de mise). Car
c’est de l’argumentation qu’il s’agit, chaque fois que l’on se voit contraint à
étayer certaines orientations méthodologiques, en invoquant l’appui d’un
spécialiste. Ainsi, à la difficulté de trouver des documents (imprimés) dans le
passé se substitue aujourd’hui, paradoxe de technologie, la difficulté
d’effectuer un tri parmi des milliers de sources. Qu’à cela ne tienne, se
documenter revient en somme à se justifier auprès des instances considérées
comme seules détentrices de la légitimité scientifique et donner par la même
occasion du crédit à la méthodologie choisie pour élaborer la recherche. En ces
termes, certaines citations, comportant des termes-clés et exprimant de fortes
suggestions théoriques, peuvent servir d’un parti-pris sur la base duquel toute
une réflexion pourrait être nourrie et engagée. On peut de ce fait rallier la
position d’un chercheur, considéré comme une référence dans le domaine, juste
pour s’assurer de ne pas tomber dans l’erreur de la présomption théorique et de
se donner les moyens pour mener à bien son travail selon un cheminement logique
et correct (Choisir le structuralisme comme cadre théorique est incontestable
pour peu que l’on évoque certains propos de F de Saussure). Généralement, les
citations empruntées aux grands auteurs expriment des a priori théoriques qui
aident énormément à la bonne réceptivité d’un travail de recherche. A travers
la documentation, un chercheur trouve souvent le cadre théorique qui donnerait
à son travail une certaine lisibilité du fait de l’ancrage théorique que
laissent entrevoir les références bibliographiques. De ce point de vue, on
risque moins d’être accusé de fourberie intellectuelle si les références
bibliographiques mises à contribution coulent de sources dignes de respect. Quoiqu’il
en soit, il arrive souvent que le chercheur construise sa bibliographie, au fur
et à mesure que se mettent en place les grandes lignes de son mémoire. En règle
générale, la bibliographie, touffue ou réduite, est à elle seule un mémoire, en
ce sens que c’est à travers les titres d’ouvrages ou d’articles consultés qu’un
encadreur est censé avoir une idée sur le degré d’implication de son étudiant
et sur sa maturité scientifique.
L.HIDOUCI
- Enseignant: lamine hidouci